2007 sept. 11

La conférence du lundi 10 septembre aux étudiants en première année à la Faculté de Médecine de Poitiers

Ce que le patient a à vous dire…

Il est environ 8h30, ce 19 août 1996. Je viens enfin d’être retrouvé. Le SMUR arrive sur les lieux accompagné de l’ambulance des sapeurs-pompiers. C’est alors le premier bilan : je suis inconscient, mon pouls bat faiblement, la température de mon corps est descendue à 32° C et je présente très certainement une atteinte médullaire. Avec moult précautions je suis installé dans un matelas coquille, puis dans l’ambulance. C’est le transfert à l’hôpital de Chambéry. Les échanges radio font état d’une situation désespérée. Tout doit être prêt à mon arrivée pour tenter de sauver ma vie. Les urgences sont sur le pied de guerre. Il n’y a pas un instant à perdre. Bien que tout le monde soit rodé, il règne une certaine tension. Chacun effectue ce qu’il a à faire. C’est aussi la routine. Après avoir pratiqué les soins d’urgence, l’équipe fait le nécessaire pour me réchauffer. En soirée, je serais transféré vers un service de neurochirurgie au CHR Nord de Grenoble pour réduire la fracture de ma cinquième vertèbre cervicale qui s’est brisée pendant l’accident : je suis tétraplégique. Un mois après mon accident, en raison de l’apparition d’une infection pulmonaire, je suis trachéotomisé. Le respirateur permettra une meilleure ventilation. Je commencerai à reprendre conscience un mois et demi après l’accident.

Je crois pouvoir vous dire que j’étais un homme heureux. Comblé sans le savoir vraiment, comme beaucoup d’entre nous. Passionné dans tout ce que j’entreprenais, ma vie était belle, ma vie était pleine, ma vie allait vite. J’étais un homme d’action, un homme de décision, un homme de conviction et un homme de position. Pas vraiment le temps de sortir de mes rails ni de regarder les autres, bref ma vie était bien remplie. Je le ressentais jusque dans mes tripes, ce bonheur. Comment vous expliquer que je me sentais, en quelque sorte, invincible, intouchable, inattaquable dans ma sérénité. J’aimais ma femme, j’aimais celui que nous appelions notre « bébé chou », j’aimais mon travail et ma vie de tous les jours. J’aimais mon engagement dans la vie. Ma force de vie était incroyable. Tout me semblait accessible et tout me paraissait envisageable. Je crois que l’on enviait mon enthousiasme, ma foi en l’homme, ma foi en l’avenir et ma foi en la vie. Mes fils, j’espère être capable de vous transmettre cette énergie et cette foi. Lorsque ceci sera achevé, je crois que j’aurais accompli mon rôle de père.

Ma situation respiratoire se dégradant beaucoup, je suis transporté vers une unité spécialisée dans les détresses pulmonaires, le CIR de la Croix Rousse à Lyon. J’y fais la connaissance de Bernard, kinésithérapeute, qui m’y prend en charge comme le ferait n’importe quel thérapeute. Mais ce grand gaillard extraordinaire va permettre mon rétablissement physique.

En cette fin d'année 1996, il va s'opposer aux médecins qui veulent m'opérer pour enlever la base de mon poumon gauche. Après trois semaines de travail acharné, j’ai enfin pu respirer mieux et mon poumon a été sauvé. Avec lui, j'ai également appris à m'asseoir dans mon lit, puis dans un fauteuil. Cela va me permettre d'aller à la rencontre de mon fils Lucas qui est né le 13 janvier 1997. Fin mars, ma femme Laurence me quitte. C’est ma mère qui a appris à Lucas à me dire « papa ». Puis, en avril, ce furent les retrouvailles avec Guillaume. Moment ô combien émouvant. Au loin, il m’a reconnu et s'est écrié : « papa, papa, papa ! »... J’étais enveloppé dans un drap jaune pour cacher ce corps qui ne répondait plus. Nous avons échangé un baiser. Quel bonheur !

J'avais emprunté un tunnel bien étroit et bien sombre, dont je ne voyais pas l'issue, moi qui étais et suis toujours un claustrophobe avéré. Alors je fermais les yeux pour fuir ce douloureux présent et j'imaginais un univers qui me permette, en quelque sorte, de temporiser. Pour m'évader de toute cette horreur, souvent la nuit, je reprenais la moto, le VTT, les escapades en montagne ou bien les skis et je m'offrais des heures de bonheur. Elles en étaient d'autant meilleures qu'elles étaient volées à un environnement quotidien si difficile à supporter. Je rentrais, malgré moi, au petit matin et j'avais bien souvent juste le temps de ranger mes affaires dans le placard avant le passage de l'infirmière.

Je suis maintenant dans une réalité bien sévère et, je n'en n'imagine qu'un morceau. Certes, le milieu clos de l'hôpital m'a protégé et c'était plus que vraisemblablement nécessaire, mais quels manques cela a-t-il créé ? Il y a des parenthèses forcées dont je me passerais bien volontiers. Je ne commence pas encore à mesurer ce que je suis devenu. À ce moment-là, je n'ai pas d'impression sur ce changement radical de ma vie que représente ma tétraplégie : mon corps est simplement inerte et ne me rappelle pas encore sa présence par d'insoutenables douleurs. Je suis à la fois effrayé et curieux de cette nouvelle perception du monde. A ce moment-là, même si je ne savais de quoi demain serait fait, je me doutais qu’il serait nécessaire de produire un certain effort en me soumettant à un nouvel apprentissage dont je n’imaginais, fort heureusement, ni la difficulté, ni la durée. Cet effort allait être cependant nécessaire pour réintégrer une vie ordinaire. Deux questions revenaient sans cesse à mon esprit : que vais-je devenir, qui vais-je devenir ? Mon existence est devenue un enfer. Quelle image puis-je alors encore avoir de moi ? Je suis devenu une espèce de loque. Rien à voir avec l'homme que j'étais il y a quelques mois. En une fraction de seconde, ma vie s'est envolée. Adieu à Guillaume, à Lucas, à Laurence aux autres êtres chers et à moi-même. Je ne suis plus. Désormais une muraille nous sépare. Je me sens comme aspiré par un tourbillon qui me noie en m'engloutissant peu à peu. Je perds pied et je suis trop faible pour résister. Ma fin me parait inéluctable. Il me semblait pourtant avoir fourni le plus grand effort : celui de survivre à la nuit de l'accident. En fait, il n'en est rien. Ma situation me demande trop d'énergie et je n'en ai plus. Je n'ai pourtant pas envie de me laisser aller à mourir mais je ne sais pas comment faire plus. Je suis au bout de quelque chose et je ne vois pas ce qu'il peut y avoir après. Ce mélange de torture à la fois physique et mentale est difficile, vraiment trop dur à vivre. C’est complètement désemparé, angoissé et complètement déstructuré que j’ai débuté mes entretiens avec Michelle, psychologue. Le poids de la solitude qui s'impose à moi est tel que je vois, dans ces entretiens, une opportunité de la rompre et de parler de ma terrible souffrance. C'est le point de départ d'un travail, véritable et conséquent, qui va me permettre de commencer à évacuer cette douleur qui me pèse et me torture depuis l'accident. Ma détresse est en rapport avec l'abîme dans lequel m'a plongé mon accident. Michelle a commencé à m'aider à faire le tri dans tout ce que j'exprimais. Patiemment, entretien après entretien, elle a pu commencer à me faire entrevoir qu'il pouvait y avoir une issue au tunnel que j'avais emprunté. Je crois, en fait, qu’il faut réussir une espèce d’alchimie entre l’espoir et la vision d’un retour à la vie ordinaire. C’est ce à quoi il m’a fallu parvenir pour me remobiliser sur un nouveau projet de vie. Même si cela paraît très simple de faire germer l'idée d'un espoir de retour à la vie ordinaire, il faut cependant tout le talent d’une personne de métier et d’expérience, certes, mais également dotée d’une personnalité exceptionnelle.

Après avoir vécu treize mois dans des services de réanimation et de soins intensifs, ce fut le moment du départ vers le centre de réadaptation de Sainte Foy l’Argentière. Même si Bernard m’y avait affuté pour que je sois prêt à y bondir hors des starting-blocks, c’était une étape périlleuse, en raison de ma grande fragilité pulmonaire. Je découvrais une autre vie. J’étais moins souvent alité. En plus des activités avec les kinés, j’ai commencé à en pratiquer d’autres avec un ergothérapeute. C’est ainsi que l’on me présenta un ordinateur. J’ai écrit ma première lettre en cette fin d’année 1997. Le médecin qui s’occupait de moi me fit rentrer « chez moi » pour Noël. Ce fut une catastrophe. Les deux heures et demie de voyage ont eu raison de mes forces. J’étais épuisé. Ces deux jours et demi ont été un calvaire tant pour les miens que pour moi. J’avais perdu ma place visible, apparente, ordinaire, ou tout simplement physique, au sein de ma maison. J’étais réduit à mon rôle de blessé, celui qui est à l’hôpital mais qui n’est plus à la maison. D’ailleurs ai-je reconnu vraiment les murs de cette maison qui m’avait apporté tant de bonheur, mais aussi fait tant transpirer ?

En juin 1998 on me découvre une fistule entre œsophage et trachée. C’est le passage, maintes fois répété des sondes d’aspiration qui a provoqué cette lésion. Ce fut le retour dans un service de réanimation où l’on annonça, à mon entourage ma fin imminente et inéluctable. Eu lieu alors le défilé de ma famille et de mes proches. Contre toute attente, j’intégrai le centre de réadaptation Mangini à Hauteville sur Lompnes, trois mois plus tard. J’ai recommencé à m’alimenter. J’étais, durant cette période, à nouveau nourri par une machine. J’ai beaucoup travaillé avec kinés et ergos. Je préparais ma sortie.

Mes parents ont fait un boulot fantastique. Le 1er avril je me suis fait opérer pour fermer le trou béant laissé par l’enlèvement de ma canule en ce début d’année 1999. Je retrouvai ma voix, ma vraie voix, comme avant. Le 26 mai fut l’occasion de mon premier repas au restaurant. J’avais organisé cette petite fête pour remercier les kinés et les ergos.

Le 3 novembre je suis arrivé à Poitiers après une heure de vol depuis Lyon. J'ai pu alors découvrir l'appartement que mes parents avaient longuement cherché, puis déniché pour moi.

Après un tel parcours d’une durée de trente neuf mois (16 mois de réanimation suivi de 23 mois de réadaptation), il ne m’était pas possible d’imaginer une continuité de ma vie au sein d’une quelconque collectivité. J’avais trop souffert de mon passage obligé en ces établissements. De plus je n’avais pas combattu à ce point pour baisser les bras maintenant. Cependant, je n’aurais pas imaginé que le fait de choisir de vivre à mon domicile eu pu être aussi difficile. J’avais puisé jusqu’au plus profond de moi-même pour rester en vie, mais j’ai eu besoin d’aller plus loin encore pour retrouver ma place de père et ma place de citoyen.

Lorsque je suis arrivé à Poitiers, mes enfants ne savaient plus vraiment qui j’étais. Depuis le départ de Laurence, c’était surtout mes parents qui les avaient pris en charge. J’étais ce malade auquel on venait rendre visite à l’hôpital. Comment alors imaginer et accepter que ce malade fût aussi leur père. C’est pourquoi les premiers contacts avec mes enfants eurent lieu au cours des week-ends qu’ils venaient passer chez mes parents. Le repas dominical se faisait à mon domicile. C’est comme cela que de fil en aiguille nous avons pu nous ré apprivoiser. Puis, mes enfants ont accepté, un jour, de passer un week-end complet avec moi. Ensuite, ce fut une semaine complète. Il a fallut attendre l’année 2006 pour passer ensemble un mois de vacances.

Michelle m’avouera plus tard qu’avant de me venir en aide directement, elle était intervenue auprès de l’équipe qui tentait de prendre soin de moi. En effet, peu de temps après mon arrivée à la Croix Rousse, mon impossibilité de communiquer et ce que j’appellerai l’habitude ou la routine de fonctionnement de l’équipe soignante qui faisait de moi sans moi, faillit entrainer ma perte. Tout était certainement très bien fait pour ce corps qui est le mien, mais moi, qu’étais-je dans tout cela ? J’avais l’impression de n’être plus qu’une chose, qu’un objet, un machin, le tétra de la chambre 23.

Toute l’attention de l’équipe de soin était à ce corps qui n’existait plus car en ces quelques mois passés depuis l’accident, il s’était terriblement métamorphosé. Il était devenu à la fois hantise et espoir. Il était la raison pour laquelle je n’étais plus moi, mais en même temps, mon espoir d’avenir passait par lui et avec lui. Je n’imaginais seulement pas encore comment. L'image d’homme gravement blessé, de fragilité de la vie et de la mort que je renvoie doit, en outre, être très difficile à supporter par cette équipe, malgré son métier. D’ailleurs, pour qui cette image serait-elle supportable ? Comment ces personnes pourraient-elles ne pas s’identifier à moi ? En effet, je suis jeune et un accident, cela peut arriver à n’importe qui, à n’importe quel moment. Alors, pourquoi pas à l’une d’entre elles ?

Depuis cet accident on me donne à boire, on me donne à manger, on extrait mes selles, une sonde vide ma vessie dans une poche qu’il faut vider à son tour, on me lave, on m’habille, on me lève, on me couche, mais je pense. Quand on m’installe devant mon ordinateur je peux exprimer mes pensées, écrire, lire, téléphoner, etc. Sans l’aide de quiconque, je suis alors comme les autres hommes. « Je pense, donc je suis » comme le disait si bien Descartes. Comme je suis un homme pourquoi cette différence de considération ? Pourquoi un homme handicapé serait-il un homme qui vaudrait moins ? Pourquoi faut-il être et faire comme les autres ?

Un autre élément insupportable fut qu’en devenant tétraplégique, je n’existais plus. En effet, ne pouvant plus signer de ma main, je ne pouvais plus m’engager. Cruel constat après avoir livré une telle bataille. Je n’ai pas accepté cette fatalité. Une personne handicapée n’a pas de statut, elle est handicapée. Cela a toujours été, pour moi, inconcevable donc inacceptable. J’ai mis et je mets toute mon énergie dans ce combat pour reprendre ce statut d’homme que j’ai toujours revendiqué et que je revendique encore. Aujourd’hui je suis un homme qui présente un handicap.

Mais dès que je suis dans un lit d’hôpital je suis pris au piège de ma dépendance. Que puis-je faire alors ? Tout passe par les autres et par leur bon vouloir. Bien des choses deviennent alors insupportables. En voici quelques exemples : ces conversations au dessus de moi, cette façon de m’adresser la parole à la troisième personne du singulier toujours en infantilisant - cette façon de dire bonjour à la cantonade en entrant dans ma chambre, alors que j’en suis le seul occupant – ces bruits de pas dans les couloirs - cette manière d’entrer sans frapper - ces médecins qui n’ont jamais le temps de vous expliquer, qui ne se lavent jamais les mains, qui portent leurs chaussures de ville sur leur lieu de travail - qu’il faut faire vite pour tout parce que je ne suis pas tout seul – cette habitude de passer la cireuse dans le couloir chaque semaine, c’est vrai que c’est important la cireuse lorsque l’on est entre la vie et la mort – cette habitude de parler fort la nuit comme s’il était entendu qu’un patient c’est forcément sourd - cette manière de tout faire de façon superficielle, de survoler, de faire sans faire vraiment, d’être là finalement sans vraiment y être - de donner l’impression de n’être pas concerné, et au moment d’être avec moi pour s’occuper de moi, d’être constamment dérangé en étant appelé à d’autres tâches plus urgentes les unes que les autres – pourquoi m’habiller de travers ? Pourquoi rase-t-on toujours aussi superficiellement à l’hôpital ? Pourquoi brosse-t-on aussi mal les dents, lorsqu’on vous les brosse ? N’est-ce pourtant pas le métier des aides-soignants ? Cela prend-il plus de temps de faire bien pour éviter l’apparition d’escarres ? Y a-t-il un pilote dans ces équipes où tout est décousu par une organisation souvent pour le moins abstraite – ne serait-ce pas un manque de savoir-vivre et de savoir-être – en un mot d’éducation ? La conséquence de tout ça provoque le sentiment de ne plus exister et de ne plus pouvoir exister. Je suis déjà en plein doute à la recherche d’un nouveau moi et je suis brassé, bringuebalé et broyé par une succession de choses qui me maltraitent et me « mal-êtrent ». C’est une situation invraisemblable. Où trouver les repères nécessaires pour pouvoir rebondir ? L’étape hospitalière est trop inhospitalière. Comment puis-je avoir ma juste place ? C’est déjà difficile à vivre ce que j’ai à vivre, pourquoi avoir encore à subir tout cela ? Pourquoi ces professionnels en sont rendus là ? Le monde perd la tête, mais évoquer des raisons financières, est-ce vraiment plausible ? Ces hommes ne sont individuellement à priori pas mauvais, mais ce sont ces systèmes et fonctionnements qui les laminent, et ils en seraient certainement les premiers malheureux s’ils avaient réellement conscience de ce qu’ils engendrent vraiment !

Vous avez réussi un parcours de sélection qui, en fonction de vos aptitudes intellectuelles, mais aussi pour une majorité d’entre vous en raison de vos aspirations profondes, vous fait vous retrouver sur les sièges de cet amphithéâtre. Une grande majorité d’entre vous vont devenir des Soignants. Cependant, qu’est-ce qu’un Soignant ? Quelle représentation en avez-vous ? D’ailleurs quelle représentation vous faut-il en avoir ? Aujourd’hui, ces Soignants « oublient » trop souvent que les blessures, les maladies (euh pardon, les pathologies), et les corps qu’ils soignent appartiennent à des Hommes comme vous et moi. Maintenant que vous savez combien il est difficile d’être dans un lit d’hôpital aujourd’hui, il vous appartient, que dis-je, vous avez le devoir de faire changer ça. Malgré les interventions réalisées dans les services pour tenter d’améliorer ce qui est devenu un état de fait, s’il vous plait, je vous implore d’intégrer un nouveau comportement dès maintenant, et tout au long de votre carrière. Vous allez avoir la très difficile tâche d’apprendre un métier selon des méthodes que vous devrez remettre en question lorsque ce sera à votre tour d’exercer. Surtout ne rentrez-pas dans le moule de vos ainés. Gardez toujours en mémoire la citation de Jean Jaurès « on n’enseigne pas ce que l’on sait, ce que l’on croit savoir, on enseigne ce que l’on est ». Tel des artistes qui, comme le peintre fait naitre, touche après touche une scène qui vous fera pleurer d’émotion, ou comme un compositeur qui réunissant très adroitement quelques notes développera une mélodie qui vous emportera, ou enfin ce créateur de parfum qui assemblera des effluves et des arômes pour créer une odeur qui vous envoutera, sachez inventer une nouvelle manière d’être des Soignants, d’être proche des Hommes que vous allez soigner, de les aimer, de les respecter, de les écouter, de leur parler, de les observer, de les sentir, de les ressentir, d’être délicat, de prendre le temps, de mettre à l’aise, d’expliquer, de comprendre vraiment pour bien analyser pour mieux vous adapter et mieux adapter votre stratégie de soins.

En un mot je dirais sachez, en quelque sorte, apprivoiser chaque patient pour vous faire reconnaître et apprécier. Pensez toujours également que vous travaillerez en équipe, et que vous aurez besoin de chacun de ses membres pour réussir à guérir chaque patient. Heureusement, lors de votre parcours de formation, vous allez rencontrer des personnalités, des orfèvres de la relation, des artistes dans la mise en œuvre de leurs techniques chirurgicales, médicales, infirmières, de kinésithérapie qui ont déjà commencé à initier et pratiquer ce changement. Sachez les reconnaître en pensant à ce qu’a dit la Rochefoucauld « rien n’est si contagieux que l’exemple ». C’est seulement à ce titre que vous deviendrez des Soignants efficaces en sachant faire pleinement adhérer vos patients à la thérapie appropriée. N’oubliez jamais qu’un patient est un Homme, et que la même thérapie ne guérira pas la même maladie atteignant deux Hommes différents. Après tout, vous, futurs Soignants vous avez le désir d’aider les autres Hommes ? Alors allez jusqu’au bout de votre envie d’explorer et découvrir pour mieux faire. A l’heure où les patients vont certainement devenir des clients, vous aurez à choisir entre exercer pleinement le métier auquel vous aspirez ou passer votre temps à défendre vos décisions devant les experts des tribunaux. C’est vous qui allez avoir la terrible mission de réconcilier les Hommes et leurs Soignants.

Je ne peux aborder une conclusion sans remercier les personnes qui m’ont permis de préparer cette conférence : je citerai d’abord Madame le Docteur Elisabeth Zucman, médecin réadaptateur auprès des personnes polyandicapées dont le livre « auprès de la personne handicapée » chez Vuibert, est une mine d’or en matière de notion de respect de la personne, Madame le Docteur Roblot, Madame Illera psychologue, Monsieur Michel Billé sociologue et tout spécialement Monsieur le Docteur Ariès sans lequel cette conférence n’aurait tout simplement pu avoir lieu.

Pour conclure, sachez écouter, voir, sentir, toucher, penser, analyser, réfléchir, puis parler avec votre cœur. Sachez nous respecter et nous aimer.

Je vous souhaite de devenir ces Soignants de l’avenir.

Je vous souhaite toute la réussite nécessaire dans votre accomplissement.

Je vous remercie de votre attention.

Voici la lettre que m’envoie, à votre attention, Madame le Docteur Elisabeth Zucman, une noble dame d’un âge certain qui fût toute sa vie auprès des personnes handicapées.

« A de jeunes futurs confrères,

Pour pouvoir traiter son patient comme une Personne, il faut que le médecin s’autorise à être auprès de lui pas seulement son médecin, mais une personne humaine, accepter d’être ému par le malheur de l’autre, accepter d’écouter, d’attendre, de chercher, de douter, de ne pas savoir et parfois de se tromper. Paradoxalement, cela ne diminue en rien notre efficacité, mais permet d’accepter ensemble le pouvoir et les limites de la Médecine. Pour mieux améliorer ou guérir, nous ne pouvons compter que sur notre seul savoir. Il nous faut faire alliance avec les forces du patient et de sa famille, alliance sur laquelle se fonde la nécessaire confiance mutuelle. Pour que le patient, quel qu’il soit, puisse unir sa propre force à celle de son médecin, il faut qu’il se voit et se sache reconnu par lui en tant que personne à part entière. Par conséquent pour être pleinement soignant, il nous est indispensable de :

- Prendre le temps de connaître chacun, ses attentes, ses craintes, ses refus…, - L’informer - et si besoin sa famille – sur son état et le projet de soins, - Solliciter, en retour, son avis, son savoir, son assentiment (cf. le consentement éclairé), - En cas de divergence, prendre le temps d’une négociation…

Même dans la pénurie actuelle des moyens de la Santé, même dans certains climats de défiance réciproque, médecins et patients y gagneront ensemble du temps, de l’efficience, du mieux-être, de la légitimité, donc de l’humanité ».

Elisabeth Zucman

Auteur de « auprès de la personne handicapée - une éthique de la liberté partagée » édité chez Vuibert